A la suite de la projection de son très pertinent long métrage « Low-tech, le film », Adrien Bellay présentait jeudi 25 mai à Rezé, dans l’agglomération nantaise, sa vision de la Low-Tech. Durant ce débat, le réalisateur ayant précédemment produit le film « L’éveil de la permaculture » invitait le public à se rendre au festival «Low-Tech, au delà du concept » organisé en juin à Nantes par l’association APALA. Pourtant malgré son nom trompeur, la programmation de ce festival utilisant le terme Low Tech semble ne pas prôner les thèses du réalisateur, mais bien leur exact opposé : la promotion de l’industrie et de la viande de laboratoire. Explications.
Le film d’Adrien Bellay, citant le spécialiste de l’histoire des technologies Lewis Mumford, ouvre sur les dérives de l’industrialisation, citant, parmi d’autres, la fabrication de viande en laboratoire. Plus loin, Cyril Lorréard, membre de la coopérative d’autoconstruction L’Atelier Paysan, dénonce la tendance à l’industrialisation, la robotisation et à l’automatisation de l’agriculture 4.0, images de drones aspergeant des vergers, de robots maraîchers désherbant les champs entre les cultures ou de machines ramassant des pommes à l’appui. Se dessine au long des minutes une vision des Low-Tech rapprochant les humains de leurs usages quotidiens, se réappropriant leurs productions d’énergie ou alimentaires, mais aussi, et c’est le parti pris du réalisateur, une Low-Tech tendant à simplifier et relocaliser les process industriels dans la double optique de créer des emplois locaux et minimiser l’impact environnemental des objets produits.

Refusant de figer la Low-Tech dans une définition trop précise, ce flou entretenu par les acteurs de la Low-Tech sur la signification exacte de cet anglicisme, qui ne serait pas réductible à de l’anti High-Tech, selon Philippe Bihouix et les membres du Low-Tech Lab de Concarneau, ou à du No-Tech selon Arthur Keller, permettrait une appropriation plus simple du terme par un spectre plus large d’intervenants.
Récupération des Low-Tech par l’industrie
Selon Adrien Bellay, le triptyque Utile – Accessible – Durable proposé par le Low-Tech Lab suffirait à limiter les dérives de l’emploi du terme. Cependant,le réalisateur prévient pendant le débat que la récupération du terme par l’industrie ne tardera pas.
23h15, après l’heure de débat de qualité ayant suivi la projection de ce film réussi, Adrien Bellay conclut en invitant le public à se rendre au festival «Low-Tech, au-delà du concept » proposé par l’association APALA.
APALA : un surprenant débat « contradictoire » sur la décroissance
Si « Low-Tech, le film » et le festival APALA partagent deux intervenants, Quentin Mateus, membre du Low-Tech Lab de Concarneau, et le conférencier Arthur Keller, un malaise s’installe à l’étude de la programmation proposée en juin : le samedi soir, Yves Cochet, ancien ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’environnement de Lionel Jospin, connu pour ses positions écologiques invitant à une bifurcation radicale de nos modes de vie débattra avec Ferghane Azihari, prônant la croissance économique et niant la problématique de la rareté des ressources, considérant que « s’inscrivant à contre-courant de la mondialisation, localisme et décroissance constituent un profond désintérêt pour le sort de l’humanité».
Ce dernier, auteur de l’ouvrage «Les écologistes contre la modernité» déploie une argumentation singulière « Ferghane Azihari déconstruit les raisonnements de ces antimodernes qui, de Pierre Rabbhi à Greta Thunberg, en passant par Nicolas Hulot, crient à la catastrophe climatique mais font la guerre aux solutions les plus crédibles aux défis actuels, comme l’énergie nucléaire. ». Difficile d’imaginer un réel échange avec de telles divergences idéologiques entre les deux invités. Si le potentiel de la qualité des interactions est si faible, pourquoi inviter Ferghane Azihari aux propos si éloignés des positions politiques des acteurs de la Low-Tech ?
Des promoteurs de la viande de laboratoire fortement représentés
Yves Cochet et Ferghane Azihari s’exprimeront sur le thème « Notre société doit-elle décroître ?» et les organisateurs ont ainsi choisi un format contradictoire avec un interlocuteur pro et un anti décroissance. Charge à l’animateur de s’assurer de la bonne tenue des échanges. Ce rôle d’arbitrage sera tenu par Thomas Lepeltier, ayant dirigé la publication de l’ouvrage «Plaidoyer pour une viande sans animal», défendant la viande de culture. Il y signe un chapitre sous le titre «La viande de culture n’est pas capitaliste – ou pas plus qu’autre chose ». Cet ouvrage à sens unique pro industrialisation, aux antipôdes de la pensée Low Tech est corédigé, entre autres, par Axelle Playoust-Braure, David Olivier et Nicolas Salliou qui tous trois interviendront dans des conférences non contradictoires lors du festival d’APALA.
Agir pour le développement d’une agriculture cellulaire
La position d’APALA sur la question de la viande de laboratoire est claire, puisque dimanche se tiendra une conférence intitulée « Quelle peut-être la place de l’agriculture cellulaire dans une alimentation durable ? » par Nicolas Bureau qui, d’après le site Internet agriculturecellulaire.fr « a pour ambition de participer au changement positif en agissant pour le développement d’une agriculture cellulaire abordable et durable » .
Un autre débat contradictoire opposera un acteur reconnu des Low-Tech, Arthur Keller, à Antoine Bueno sur le thème « Crise écologique : quels futurs possibles, quelles stratégies », toujours arbitré par le défenseur de la viande de laboratoire Thomas Lepeltier.

Le malaise grandit. Adrien Bellay, qui constate pendant le débat le manque de politisation des intervenants de son court-métrage, a-t-il conscience de l’orientation idéologique d’une partie de la programmation de ce festival quand il invite le public ayant applaudi son film à se rendre à l’événement organisé à Nantes par APALA ? La coopérative de L’Atelier Paysan, qui cherche à politiser son action pour un retour à un rapport paysan au monde, lutte précisément contre cette logique d’industrialisation forcenée de l’alimentation promue par la viande de laboratoire et par APALA.
Cette incompatibilité manifeste entre une partie de la programmation du festival APALA et les valeurs défendues par les acteurs de la Low-Tech pose questions sur l’emploi trompeur du terme Low-Tech, tant la cohérence idéologique semble impossible. Si aujourd’hui l’expression Low-Tech n’est pas défendue par ceux qui s’en revendiquent pour lutter contre l’industrialisation du monde, le mot leur sera peut-être demain devenu inutilisable.